
- 23 mai 2025
- Actualités, Documentation
Le CLIO alerte sur l’escalade de la violence armée et l’aggravation de la crise humanitaire en Haïti
Port-au-Prince, Haïti | Mai 2025
Le Cadre de Liaison Inter-Organisations (CLIO) exprime sa vive inquiétude face à la dégradation alarmante de la situation sécuritaire. Alors que la population de la zone métropolitaine de Port-au-Prince demeure quotidiennement exposée à des violences extrêmes, l’insécurité s’étend désormais aux départements du Centre et de l’Artibonite, frappant durement des localités telles que Mirebalais, Hinche, Lascahobas, Saint-Marc, Petite-Rivière et Verrettes.
Les attaques perpétrées par des groupes armés ont semé la terreur parmi les populations civiles et entraîné le déplacement massif de plus de 66 000 personnes, aujourd’hui déplacées auprès de familles d’accueil, dans des écoles, des églises ou des espaces publics, sans accès suffisant à l’eau, aux soins de santé ou à une protection minimale. Selon les données recueillies auprès des personnes déplacées dans la zone de Mirebalais, 93 % des personnes interrogées ont déclaré avoir été informées d’incidents de protection survenus dans leurs zones d’origine. Les incidents les plus fréquemment signalés incluent des cas d’assassinat ou d’exécution de proches (68 %), des disparitions (64 %), des menaces à l’intégrité physique (46%), des témoignages de violences sexuelles (11%) et des enfants déscolarisés (61 %). Certaines structures sanitaires ont été directement ciblées ou contraintes de fermer leurs portes, aggravant encore la situation. Toutes les catégories de la population sont exposées à diverses formes de violence, bien que leur capacité à y faire face varie considérablement.
D’autres attaques avaient également été menées à Kenscoff et Furcy en février dernier (et se poursuivent à ce jour), provoquant le déplacement de plus de 3 000 personnes, dont 721 enfants. Les services communautaires de base ont été suspendus ; les infrastructures de base, telles que les écoles et les centres de santé, ont été gravement affectées et ont vu la reprise de leurs . Les restrictions de circulation imposées par les groupes armés limitent fortement la liberté de mouvement des habitants, rendant l’accès aux biens de première nécessité difficile et risqué. L’accès humanitaire est devenu extrêmement difficile en raison de l’insécurité persistante, certaines zones sont inaccessibles actuellement. De plus, Kenscoff est le principal fournisseur en denrées agricoles de la ville de Port-au-Prince. Environ 65% des récoltes ont déjà été brûlées ou pillées pendant ces attaques selon les rapports de 3 des plus grandes coopératives agricoles sur place. Les champs restants sont désormais menacés également par l’avancée continue des groupes armés et font craindre une détérioration de la quantité et de l’accès aux denrées pour les populations de la Capitale, dans un contexte d’insécurité alimentaire déjà extrêmement préoccupant.
La situation, dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince, devient également de plus en plus critique. Des offensives ont ciblé des zones auparavant relativement épargnées, telles que Delmas, le centre-ville de Port-au-Prince et Pétion-Ville. Entre janvier et mars 2025, au moins 1,617 personnes ont été tuées, et plus de 750 blessées, marquant une détérioration significative de la situation des droits humains. Au 4 avril 2025, plus de 89,000 personnes déplacées internes (soit 21 531 ménages) étaient recensées dans 87 sites de déplacés à travers la zone métropolitaine de Port-au-Prince. Le nombre total de sites de déplacés en Haiti est passé de 119 à 228, soit une augmentation de 92 %, provoqués par les violences armées. Les quartiers de Carrefour-Feuilles, Turgeau, Saint-Martin et Solino ont connu des baisses de population importantes en raison des déplacements massifs. Parallèlement, des zones comme Bellevue-Chardonnière à Pétion-Ville ont vu leur population augmenter en raison de l’afflux de personnes déplacées.
Les ONG opérant à Port-au-Prince se retrouvent régulièrement bloquées par des combats, parfois exposées à des tirs croisés. « L’insécurité persistante empêche le déploiement continu de l’assistance humanitaire, compromettant l’accès des populations aux services essentiels ; ce sont les communautés les plus vulnérables qui en paient le prix fort. Suite à la suspension de certains financements, les ONG se trouvent submergées par la demande alors que leur capacité de réponse est limitée. Cette incapacité de répondre aux besoins fait naître des tensions communautaires et impacte l’acceptance à long terme de ces organisations. Par exemple, on estime qu’une personne vivant sur un site de déplacés ne reçoit en moyenne que trois litres d’eau par jour, soit bien en deçà du minimum recommandé en situation d’urgence, qui est de quinze litres par jour. Les services de santé et de protection sont également très insuffisants pour répondre à une demande en constante augmentation.
L’insécurité grandissante dans la métropole et la présence croissante de groupes armés dans le département du Centre et de l’Artibonite restreignent fortement l’accès humanitaire. La capacité des organisations à répondre aux besoins urgents est gravement compromise, d’autant plus que les ressources financières disponibles imposent des arbitrages difficiles sur les modalités d’opérationnalisation. Cette réalité menace directement la continuité de l’assistance dans les zones les plus critiques. Près de 25 % des personnes déplacées sont des enfants, vivant souvent dans des conditions précaires sans accès adéquat à la nourriture, à l’eau potable, à l’assainissement ou aux soins médicaux. Les organisations humanitaires opèrent selon des principes fondamentaux de neutralité, d’indépendance et d’impartialité, sans parti pris politique, éthnique, religieux ou militaire. Leur seule mission est de sauver des vies, soulager la souffrance et protéger la dignité humaine, quels que soient le statut et l’origine des personnes affectées. Le CLIO insiste sur le fait que toutes les parties au conflit ont l’obligation, en tout temps, de faire la distinction entre la population civile et les combattants et de prendre toutes les précautions possibles pour épargner les civils lors de la conduite des hostilités. Le CLIO insiste également sur le fait que les ONG ne doivent jamais être considérées comme des cibles. Attaquer ou entraver leur travail revient à compromettre l’accès des populations aux services vitaux et constitue une violation grave du droit international.
Face à cette crise humanitaire aggravée, le CLIO :
- Appelle les acteurs armés à respecter pleinement l’espace humanitaire, à garantir des corridors sûrs pour les populations déplacées et pour les équipes humanitaires, et à cesser immédiatement les attaques contre les civils et les infrastructures essentielles ;
- Appelle toutes les parties prenantes à protéger la population et à faciliter l’accès humanitaire, notamment dans les zones actuellement inaccessibles ou à risque ;
- Appelle la communauté humanitaire et les partenaires de coordination à élaborer des solutions concertées pour sécuriser l’accès et assurer la continuité des opérations d’urgence dans les zones touchées ;
- Appelle les bailleurs de fonds à se mobiliser de manière urgente et flexible, en adaptant les mécanismes de financement afin de permettre aux ONG d’intervenir rapidement et efficacement dans un contexte extrêmement volatile.
Les membres du CLIO restent engagés à répondre aux besoins urgents des populations affectées, malgré les contraintes et appelants à une action coordonnée, soutenue et respectueuse des droits humains et du droit humanitaire pour éviter une détérioration supplémentaire de la situation.
À propos du CLIO :
Le Cadre de Liaison Inter-Organisations (CLIO) est une plateforme de coordination des ONG en Haïti. Il regroupe plus de 60 ONG nationales et internationales opérant sur l’ensemble du territoire. Il vise à renforcer l’efficacité de l’aide humanitaire et du développement grâce au partage d’information et à la collaboration entre les acteurs humanitaires.
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